Elle n’est possible que lorsqu’un artiste est saisi par l’acuité du monde. Parcourant les routes en une sorte d’errance programmée, l’artiste fixe les paysages et les éléments industriels ou accidentels qui les habillent (pylônes EDF, éoliennes, feux de forêts). Elle communique avec eux comme, eux, se conjuguent dans l’espace et le temps. L’artiste oppose l’un à l’autre à l’autre et oppose deux façons d’être au monde, de rencontrer les paysages et les choses : être devant, être dedans.
Être devant c’est prendre position en face d’objets que la créatrice découvre et fixe afin d’y déceler des traits par où elle peut dresser son catalogue du monde. À la fois pour montrer et dénoncer en ce que nous le réduisons mais aussi pour nous y inscrire comme dans notre foyer puisque c’est là notre univers concave et enveloppant. L’artiste en le montrant l’«en-visage» avant qu’il ne se soit encore plus cristallisé d’objets dont la convexité de croûte se tourne contre nous. Lucja Ramotowski-Brunet en saisit le «phénomène», le tissu pré-objectif. Et la force de ses photographies est de faire lever en nous la surprise du monde qui à la force d’exister encore contre le peu où nous le réduisons. C’est pourquoi dans ce que ses prises possèdent d’instantané, la photographe assigne aux plans d’ensemble un équilibre, une unité «harmonique» par une sorte de lumière aussi diaphane que nette. Dans de telles «prises» rien n’est objet, tout est trajet. Barres métalliques, béton, macadam, fumées sont saisis dans un mouvement centrifuge.
Elle ne fait qu’une avec sa genèse catastrophique et humaine, elle participe aussi à celle de l’art lorsqu’il est d’ici même, d’ici bas. L’artiste sait que toute stabilité égare, qu’il fait laisser à l’image la liberté de conduire où elle va. C’est pourquoi il ne convient pas de coincer dans une définition thématique de telles photographies. Elles ne sont que des voies où s’immobilisent des structures provisoires.
À l’univers univers rigide et qui «plante» (à tous les sens du terme) la photographe donne un suspens, une ouverture par la voix des rythmes lumières plus que des impressions matières.
Se crée une expansion de l’espace. Il rentre en résonance avec ce qui le compose ou l’afflige au sein de sa post modernité et chaque épreuve, dans sa motricité, souligne la facticité de ce que l’homme a jeté parce qu’il n’est plus capable de dépassement métaphysique. Tout ce qu’il produit et une duplication mécanique que l’artiste lui jette aux yeux et afin qu’il les ouvre un peu mieux. Les photographies de Lucja Ramotowski-Brunet n’ont donc rien de mémorial. Chaque «cliché» garde vivante la marque du sentir-vrai. Il nous faut affronter notre facticité consacrée en puissance du réel. Nous avons contribué à réduire de dernier au peu qu’il est par le peu que nous sommes. La photographie le dévoile sans didactisme, sans misérabilisme. C’est un face-à-face pas une cérémonie.