Un détour à la galerie Néon, sur les pentes de la Croix-Rousse, pour admirer les tirages Fresson de Dolores Marat (présentée avec la Galerie Françoise Besson) et un autre grand détour au lieu d’art situé prés de l’Isle Barbe, l’Attrape-couleurs, pour admirer aussi les impressions jet d’encre pigmentaire de Lucja Ramatowski-Brunet sont les tours et contours d’un samedi d’octobre, consacré à Lyon septembre de la photographie 2008.
Insister sur les déplacements physiques n’est pas anodin. Vous ne voyez pas de la même intensité en fonction de votre état. Entre les deux expositions, de nombreux tours de roues de bicyclettes (vélov’) ont été donnés. Et un trajet parcouru à vitesse humaine le long de la Saône a relié les deux univers.
Les deux expositions envahissent deux salles dans les deux lieux, avec le même nombre environ de tirages aux formats variés mais jamais grands (ce fameux format tableau, si répandu actuellement dans l’art contemporain).
Les impressions de Dolores Marat sont autant de regards poétiques sur l’humain dans l’urbain que des rêves ou/et cauchemars de la ville sur les femmes et les hommes. Dolores Marat « peint » avec le regard et les techniques de la photographie. Le choix du procédé, le tirage fresson, est déterminant dans la pictorialité de ce travail sur la ville, les identités humaines et urbaines. La prégnance de l’errance volontaire ou/et involontaire est forte. Le New York des années 90’ de Dolores Marat m’a rappelé le New York des années 50’ de William Klein. Le parallèle peut être effectué (l’entreprise semble être risquée).
Dolorés Marat « colore », William Klein « noircit », un New York distant de deux, voire trois décennies. Or, le flou presse les images. Certes, les intentions ne sont évidemment pas identiques : plus d’onirisme chez Dolores Marat, plus de volonté documentaire chez William Klein.
Et la grande différence porte sur le genre du regard : l’un est viril et l’autre évanescent. Mais, au final, que retient le regardeur ? Un grain, une ambiance, une touche, une tactilité imprègnent les rétines.
New York vu par ses deux photographes est une piste pour plus de recherche, bien sûr, une étude à mener après plusieurs coups de pédales.
« Loup », une série automnale et hivernale de Lucja Ramatowski-Brunet, nous plonge dans ses obsessions et les nôtres : les peurs enfantines et les angoisses des grands entre autres. Troubles. L’exposition renvoie à notre condition humaine. Fébrilité, fragilité, force, puissance. Les tirages sont parfaits à l’instar de ceux de Dolores Marat. Ici, d’ailleurs, aucune image est mise sous vitre à la différence de l’exposition sans titre de Dolores Marat. Vous ne pouvez pas résister au plongeon (plongée et contre-plongée habilement utilisées) dans les images concrètes et simultanément mentales. Ici, à l’Attrape-couleurs : aucun reflet ne vous en empêche. Tout est possible : les projections mentales abondent, au risque de vous noyer dans la pénombre mauve bleutée d’un sous-bois alpin.
Les photographies de Lucja Ramatowski-Brunet ont indéniablement une esthétique picturale. Et, la question de la matière hante les deux créateurs. Lucja Ramatowski apporte un grand soin aux impressions numériques de ses prises de vue argentiques « entre chien et loup ». Elle ne retouche rien. Les effets naissent essentiellement de techniques liées au développement (croisé par exemple pour les couleurs) et à la prise de vue. Le rendu des images couleurs de Lucja Ramatowski, malgré que la technique soit différente, est quasiment comparable à celui des « aquarelles » de Dolores Marat.
Les similitudes entre les deux photographes tiennent aussi dans l’esprit. La disposition des images engendre de la narration : celle de l’auteur et celles des regardeurs. Dolores Marat nous promène dans la ville, la grande ville ; et face à l’Isle Barbe, Lucja Ramatoswki nous balade à la campagne, aux parcs urbains, et dans des paysages de nature si étranges et pourtant si familiers. Toutes les deux nous invitent à nous lâcher, à nous perdre dans des environnements connus et pourtant métamorphosés en étrangetés, par leur regard de femmes. Ce sont bien des regards de femmes posés sur des choses et des corps réels et mentaux.
La série « Loup » offre une vision du mystère insondable de l’humain. Le diptyque Loup, justement, est révélateur de la part d’ombre masculine et féminine : entre homme et loup, entre femme et biche. L’œuvre visuelle de Lucja Ramatowski me renvoie à l’instant aux aboiements et hurlements de l’installation d’Eric Samack au Crestet, « entre chien et loup ».
Le jeu des surexpositions, des flous, des cadrages, des associations d’images, de la tombée de la nuit offre des énigmes, des étrangetés, des interrogations sur ce que nous sommes au plus profond.
La belle et la bête.